Le Chatus

 Le cépage est le prénom, le terroir est le nom de famille 

Léonard Humbrecht

Depuis quelques années, on parle de cépages « modestes », « oubliés », « autochtones », « rares »… De nombreux vignerons osent désormais mettre en avant ces variétés méconnues.

Quelle est l’histoire de ces cépages ?

Au fur et à mesure des évènements historiques, et de l’évolution de la viticulture, la diversité ampélographique s’est réduite. En 1958, les 20 cépages les plus répandus représentent 53 % du vignoble français. En 2006, pas moins de 86 %. Et la France n’est pas seule dans ce cas, cette problématique est en effet mondiale. Aussi, nombreux sont les cépages ayant disparu ou étant tombés dans l’oubli, victimes de maladie, d’effet de mode ou de méconnaissance simplement.

Pourquoi méritent-ils notre attention ?

Certains diront « tout ce qui est rare est précieux ! ». On vous l’accorde mais ce n’est pas suffisant. C’est surtout que notre curiosité gourmande nous amène vers la diversité. On recherche la différence, la typicité et surtout on redoute l’uniformité. Ces cépages « modestes » participent à la biodiversité, à la richesse de l’offre gustative, et tout simplement à l’identité de chaque région. Alors forcément, on prend leur défense avec énergie. « Il faut sauver le cépage oublié ! » comme l’ont revendiqué avec humour l’association des cépages modestes.

« Chatus »,  fierté ardéchoise ! 

Domaine du Grangeon - Rosières, Ardèche © Vins Marcon

Nous avons donc à cœur de vous parler en détail de notre fierté ardéchoise : le Chatus ! Très vite, nous avons été convaincu chez Marcon de son incroyable potentiel. Il est vinifié par Christophe Reynouard, vigneron au Domaine du Grangeon

Quand on veut faire du bon vin on met du Chatus dans la cuve

Proverbe ardéchois. 

En 1599, Olivier de Serres célèbre agronome ardéchois, le cite parmi les 38 cépages du royaume de son ouvrage Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs. On retrouve des écrits de cette époque traitant ainsi du cépage : « Quel est le vrai nom de ce plant précieux (le Chatus), qui a fait la fortune du pays, et dont le vin abondant, coloré, se vend plus cher que les autres… ».

Au 19ème siècle, le Chatus était le cépage roi dans les Cévennes, cultivé sur les terroirs légers et gréseux de la bordure cévenole du Bas-Vivarais. 

L’invasion du Phylloxéra

Dès 1869, la crise du Phylloxéra bouleverse la viticulture française. Ce minuscule puceron venu des États-Unis provoque la mort des pieds de vignes en quelques années seulement. En résulte une crise sans précèdent de tout le vignoble européen. D’une production de vin annuelle de 60 millions d’hectolitres, la France tombe à 25 millions seulement en 1879. La seule solution trouvée pour le stopper est le greffage. On va ainsi souder la partie aérienne des cépages européens sur des racines américaines, résistantes elles au puceron. Comme le rapporte Christophe Reynouard « Toutes les vignes étaient touchées, tout a été arraché et, très souvent, on a replanté avec des greffes américaines. Beaucoup de cépages locaux ont alors disparu ».

Comme partout en France, on va alors replanter au profit de cépages correspondant aux critères du moment (productivité, résistance, mode…). Ici en Ardèche, on va préférer des variétés plus adaptées aux vins de table comme l’Aramon par exemple. Quelques anciens conservent des plants de Chatus ; la famille Allamel va replanter quelques hectares dès 1883, sans pour autant le déclarer. En 1950, le Chatus n’est même plus référencé dans le nouveau répertoire des cépages français.

La renaissance d’un cépage en voie de disparition

Il faudra attendre la fin des années 80 pour que le Chatus fasse son grand retour en terre Cévenole. Les vignerons de la « Cévenole de Rosières » (dont le gérant n’est autre que le petit fils Allamel) lancent une cuvée de Chatus. En 2000 est créé le Syndicat des Vignerons de Chatus. Le cépage a désormais retrouvé sa place dans le catalogue officiel des cépages français et fait alors également partie des produits du Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche. Un véritable plan de sauvegarde a par ailleurs été mis en place.

Aujourd’hui, on dénombre une soixantaine d’hectares dans le Piémont Cévenol des Vans, au Nord-Est de Largentière (dont 2 plantés en 1888). Les vignes sont situées sur les « faisses » (autre fierté locale), terrasses de grès retenues par des murets typique de la viticulture cévenole. Cette particularité ardéchoise est même labellisée en 1992 « Paysage de reconquête » par le Ministère de l’Environnement.

Domaine du Grangeon - Rosières, Ardèche © Vins Marcon

Quelles sont les caractéristiques du Chatus ?

Il est également appelé Chatelus, Houron à Saint-Péray, Charos dans l'Ardèche, Corbel dans la Drôme, Corbesse dans l'Isère ou encore Negro en Italie. D’autres noms existent tels que Vert Chenu ou Vert Chanu, Gros Chanu ou Gros Chenu, Persagne-Gamay, Provareau ou Prouveraeau, Syram(h)use… En Italie de nouveau, il porterait aussi le nom de Nebbiolo di Dronero.

C’est un cépage rouge tardif. Fermentation malolactique, égrappage et élevage en fût lui conviennent. Vigoureux, il se plait bien sur les sols acides. Il donne des vins tanniques et colorés. Une des raisons de son abandon réside certainement dans le fait que ce cépage est exigeant. Il impose une taille en « arcure » qui mobilise une main d’œuvre plus importante.  C’est une variété qui, pour donner le meilleur d’elle-même, demande de la patience. Comme l’explique Christophe Reynouard « C’est un raisin très tannique, il exige un élevage de longue durée pour s’affiner et livrer des notes de mûres, de réglisse et d’épices douces ».

Il est nécessaire de le carafer avant de le servir. Il donne des vins avec un beau potentiel de garde.

Le Domaine du Grangeon est situé dans le petit village de Balbiac au cœur des terrasses de l’Ardèche méridionale. Christophe est un enfant du pays, et après avoir fait ses preuves chez le grand Georges Vernay à Condrieu, il s’installera à 30 ans. Passionné et amoureux de son terroir, il ne cesse de démontrer que ce petit coin d’Ardèche est capable de faire de grands vins. Toujours épaulé par Chrystel sa femme et fidèle complice, Christophe fait partie des premiers défenseurs du Chatus, engagé dans le syndicat mais aussi membre de l’association des cépages modestes. Nous avons découvert ses vins en 2007 et eu la chance de voir son expérience autour du cépage se forger, et ses cuvées évoluer.

Aujourd’hui, le Chatus du Domaine du Grangeon est servi sur les plus grandes tables.

L'avis de Laurent Blanchon, chef sommelier chez Régis et Jacques Marcon

 Sources

 Ouvrage « À la rencontre des cépages modestes et oubliés » André Deyrieux

Oiyvrage « Fascinante Ardèche » Editions Sud-Ouest

http://www.rencontres-des-cepages-modestes.com/vignerons/vignerons.html

https://www.supagro.fr/fondation/wa_files/Livret_cepages_prometteurs_HMahe.pdf