RENCONTRE AVEC PIERRE BORIES, VIGNERON AU CHÂTEAU OLLIEUX ROMANIS

Le Château Ollieux Romanis se situe au cœur des Corbières, à Montséret, dans l’Aude, sur un terroir façonné par l’histoire et les éléments. Les terres, rattachées dès le XIe siècle à l’abbaye de Fontfroide, ont traversé les âges : d’abord métairie, puis prieuré, distillerie, et enfin domaine viticole dès le XVIIIe siècle. Installé sur 67 hectares cultivés en bio et en biodynamie, le vignoble bénéficie d’une richesse naturelle exceptionnelle, marquée autrefois par la présence de sources à l’époque gallo-romaine.

Propriété de la famille Bories depuis 1978, Pierre Bories, vigneron engagé et président du CIVL (Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc), en assure la direction depuis 1998. À travers ses vins, le Château Ollieux Romanis exprime avec sincérité l’identité d’un territoire singulier, mêlant mémoire, caractère et engagement.

Comment a commencé votre aventure viticole ? Est-ce qu'elle a toujours été une évidence ?

Il y a deux niveaux : d’abord parce qu’enfant j’étais toujours dans les vignes, sur un tracteur, donc ça a toujours été quelque chose qui m’a attiré. Puis, plus tard, je travaillais ailleurs mais quand mes parents ont rencontré de grosses difficultés financières sur le domaine, j’ai quitté mon métier pour revenir au domaine. À la fois par passion parce que j’avais toujours su qu’à un moment donné je reviendrais, et aussi par nécessité, pour des raisons économiques et familiales.

Vous parlez d'une ancienne rencontre entre terre et mer sur votre terroir. Pouvez-vous nous en dire plus et les conséquences que cela a sur vos sols aujourd'hui ?

Quand on parle de rencontre entre terre et mer, c’est parce qu’on est ici, en Corbières, et plus précisément sur le terroir de Boutenac. Le massif des Corbières correspond au début du soulèvement des Pyrénées, ce qui a créé des reliefs très fracturés avec d’importantes arêtes calcaires. Nos vignes s’étendent au pied de l’un de ces petits massifs, grimpant le long des pentes. En même temps, il y a cette connexion avec la montagne : par beau temps, on voit la chaîne des Pyrénées juste derrière nous, et elle nous apporte des entrées d’air frais. Mais on est aussi à seulement 24 km de la Méditerranée à vol d’oiseau, ce qui nous amène des influences maritimes très régulières. La journée, l’air marin remonte depuis la Méditerranée, et la nuit, c’est l’air frais des Pyrénées qui descend. Ce va-et-vient constant entre la montagne et la mer, c’est ce qu’on entend par cette connexion terre-mer.

Vous dites : "Nous sommes responsables du bien-être de notre territoire". Comment traduisez-vous votre engagement envers celui-ci ?

La responsabilité de préserver le bien-être de notre terroir, elle vient du fait que ce vignoble existe depuis des dizaines de générations. On a ce sentiment qu’il n’appartient pas à une seule personne, mais à une lignée, à une multitude de générations. Notre rôle, c’est donc de l’améliorer, de le protéger, de le rendre esthétique, tout en veillant à notre relation avec la terre et la nature. L’objectif, c’est que les générations futures puissent continuer à transmettre de lieu. C’est une thématique importante dans notre manière de gérer l’agriculture, la viticulture et notre relation aux choses, notre attenance. C’est pour ça que nous mettons tout en bio et en biodynamie, que nous avons un élevage de moutons, et que nous mettons en place tout ce qui nous permet d’entretenir une relation équilibrée avec la nature. On sait qu’on l’exploite, qu’elle nous nourrit, mais on veut le faire dans le respect de ce qu’elle nous offre. Cette vision, cette valeur, elle fait partie des valeurs fondamentales d’Artisans Partisans. Le terme « Artisans » c’est qu’on considère qu’on fait un métier d’artisanat : ce sont tous ces gestes de la viticulture répétés, perfectionnés avec le temps, toujours dans un esprit ancestral, sans jamais tomber dans l’industrialisation. Et le terme « Partisans », c’est cette défense du territoire. Tous ceux qui travaillent sur un domaine, moi le premier, on aurait pu faire autre chose à une heure. Mais on a fait un choix fondamental : revenir, s’investir sur un territoire qui, malgré la proximité de la Méditerranée, reste l’un des plus pauvres de France. On se bat pour le faire vivre, pour le valoriser et ça c’est ce côté un peu
« Partisans » qui va revendiquer une place pour ce territoire. Le nom "Artisans Partisans", c’est vraiment un choix réfléchi, très important, porté par tous ceux qui travaillent : on a choisi de créer cette marque il y a 7 ans, c’est la marque ombrelle. Avec ces deux mots, on résume véritablement notre génétique : quand on les comprend, on comprend alors notre engagement, notre manière de travailler et de voir les choses.

Votre cuvée « chouchou » ?

La cuvée dont je suis très fier c’est Atal Sia. Elle a été créée en 2005, en même temps que le cru Boutenac, pour son tout premier millésime. Cette cuvée c’était un pari sur l’avenir qui était extraordinaire. D’abord parce qu’elle contient énormément de Carignan, un cépage qui, en 2005, n’avait pas encore la reconnaissance qu’il a aujourd’hui – les journalistes n’étaient pas vraiment fans. Ensuite, parce qu’on a décidé de faire une cuvée sans élevage barrique. L’idée était de préserver le fruit, d'avoir beaucoup de finesse et de fraîcheur tout en profitant du soleil du Sud pour obtenir une belle matière. À l’époque, en 2005, personne ne faisait de cuvées sans bois. Aujourd’hui, c’est une vraie réussite. C’est aussi une vraie fierté, parce que cette cuvée est proposée dans les plus beaux restaurants étoilés et dans les plus beaux endroits – la preuve à Saint-Bonnet-le-Froid.

Quels sont vos mots d'ordre dans votre vision du domaine ?

Partage et transmission, ce sont effectivement des valeurs essentielles pour nous. Être vigneron, c’est avant tout partager notre savoir-faire et le transmettre. C’est le rôle d’un artisan. Ici, on forme des jeunes, et avec le temps, je commence à être un vieux vigneron ! J’ai formé pas mal de bons viticulteurs et de très bons vignerons. C’est une vraie fierté quand on arrive à leur transmettre l’amour du métier et le niveau d’exigence qu’on veut porter. Certains n’ont pas adhéré à notre logique assez exigeante du travail, mais ceux qui l’ont fait produisent aujourd’hui de très jolis vins ou gèrent des domaines très bien tenus. C’est ça, la transmission : transmettre un domaine à la génération suivante, mais aussi transmettre nos valeurs et nos méthodes à ceux qui partagent notre passion et l’envie d’apprendre.

Nous avons eu Mathieu, sommelier, qui a taillé deux mois avec nous : il connaît le travail dans les vignes, il connaît les parcelles. Ce qui est génial, c’est la façon dont après il parlera du vin. Et ça, c’est fondamental pour nous : transmettre cette expérience, que ce soit aux personnes qui travaillent avec nous ou à celles qui viennent simplement découvrir notre domaine. C’est pour ça qu’on développe autant l’œnotourisme, à travers le restaurant, les visites, les dégustations… Tous ceux qui travaillent aux Ollieux sont formés à cet esprit-là.

On est convaincus que les nouvelles générations ont besoin d’apprendre, de vivre et de valider une expérience. Prenons l’exemple d’un jeune qui achète une bouteille d’Ollieux Romanis à Saint-Bonnet-le-Froid. Si ce qu’on lui a raconté sur le vin lui a donné envie de l’acheter, alors quand il vient sur le domaine, il doit retrouver cette histoire dans l’expérience qu’il vit sur place. Quand il se balade ici l’été, il doit voir les moutons, sentir l’ambiance du vignoble, comprendre ce qu’on fait. Et si ça résonne en lui, alors pour nous, c’est gagné : il devient un artisan de nos vins.